Carte blanche pour la résidence photographique, été 2023, dans le cadre du Festival Cargo, Les Photographiques de St Nazaire. Exposition en juin 2024. 
C’est au bord de ce fleuve que j’ai grandi : La Loire non loin de Tours. C’est là que c’est dessiné mon imaginaire, mon rapport à la nature et aux éléments.
A cette époque, si la Loire fascine toujours autant par ses lumières et ses paysages, elle n’arrive pas à se défaire de cette image d’un fleuve dangereux et tourmenté -où il est interdit de se baigner. De nombreuses légendes et rumeurs peuplent mon enfance : le fleuve serait hautement pollué voire radioactif, il est piégé par des sables mouvants mortels, abrite des silures mangeurs d’enfant, peut-être même un crocodile... Nous n’étions pas nombreux à nous y baigner, dans un rituel familial et joyeux lors de chaque partie de pêche. Nous traversions un bras de Loire et accostions pour de longues robinsonnades. 
Depuis quelques années, à la faveur d’étés caniculaires, le fleuve, sauvage, devient une promesse de fraîcheur, et revêt parfois même des airs balnéaires. L’appel de l’eau se fait plus pressant que l’interdit de la baignade.
Le temps d’un été, j’ai suivi le fleuve de Tours vers l’estuaire de St Nazaire, à pied, en kayak ou en voiture, à bord d’une toue ou d’un train. J’ai traversé des villes et des ponts, débarqué sur des îles désertes au socle fragile de sable, qui dessinent à chaque printemps une nouvelle géographie. à la rencontre des habitués de ses rives, afin de documenter ces scènes de vie estivales.
Faire ce trajet, ce fut également retracer le chemin de l’histoire de la baignade et de son interdiction dans ce fleuve. Les méandres aussi d’un souvenir personnel. Un été de mon adolescence, un ami a voulu affronter un barrage en kayak, la Loire l’a emporté. Lors d’une cérémonie sur la plage où nous allions souvent, sa poussière a rejoint les sédiments, vers l’estuaire, là où l’eau salée l’emporte sur l’eau douce. Mais cet été, aux tragédies passées s’est mêlée une nouvelle et terrible noyade. Celle d’un jeune réfugié afghan, emporté par un cul de grève -piège d’eau et de sable dissous- en plein centre ville de Tours. Il avait pourtant affronté et traversé le monde pour échapper aux ténèbres. Il mourait ici, happé par le fleuve.
Ainsi, c’est bien le double portrait d’un fleuve, à la fois sauvage et solaire, mais mouvant et funeste, que je dépeins dans cette série ‘‘Dérive, et des îles’’.
Le fleuve
L’ eau sourd, patiemment. Le sable se détache et vient
lécher les bords, un tourbillon se forme; s’effondre sous
le poids, emporte le sable, l’eau se brume, rien n’est clair.
Et la Loire suit son lit. Dormante et râpeuse, chariant
les poissons et les corps. Elle arrive à la mer, un garçon
dans  ses bras.
Un poisson a sauté, happant un moustique au passage.
Il replonge aussitôt. Un léger
plouf.
Le moustique englouti. Puis plus rien que la surface plane
de l’eau. Et le calme... Le ciel se fond au fleuve, masse noire
immense qui enveloppe jusqu’aux berges.
Que la mer avale.
Guillaume Nail. On ne se baigne pas dans la Loire. 2023, Denoël Editeur
Festival Cargo, Les Photographiques de St Nazaire. Juillet > 29 septembre 204 Abribus / Gare / Médiathèque Etienne Caux

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